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On a discuté fantasy, Sorceleur et Baba Yaga avec Lauren S. Hissrich, la showrunneuse de The Witcher

On a discuté fantasy, Sorceleur et Baba Yaga avec Lauren S. Hissrich, la showrunneuse de The Witcher

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Ⓒ Netflix

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Par Adrien Delage

Publié le

La créatrice et showrunneuse de The Witcher répond à nos questions concernant l’avenir de Geralt, Ciri et Yennefer dans la série.

Konbini Biiinge | À la vue des bandes-annonces et des premiers épisodes de la saison 2 de The Witcher, la série semble encore plus sombre, épique et ambitieuse que la première saison. Quels sont les enjeux et les challenges à relever dans cette saison 2, pour à la fois satisfaire les fans et respecter votre vision de l’histoire de Geralt de Riv ?

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Lauren S. Hissrich | Votre remarque est tout à fait pertinente. Juste avant de me lancer dans l’écriture de la saison 2 avec les auteurs, je savais que nous devions en profiter pour explorer et étendre davantage l’univers de la série. Ce n’est pas même une histoire de dépenser plus d’argent, mais de creuser certains éléments déterminants de l’intrigue comme les personnages, leurs tourments, la politique du Continent, etc. Sincèrement, la chose la plus difficile à faire était d’organiser tout ça au milieu d’une pandémie. C’était paradoxal : comment créer quelque chose d’encore plus énorme quand vous avez autant de contraintes à respecter ?

Tous les jours, on devait se demander où, quand et combien de personnes pouvaient être disponibles sur le tournage pour filmer. Quand je regarde la saison 2, je me dis qu’on peut être fiers de nous. Si la génération future la regardait dans dix ou vingt ans, je pense que les spectateurs et spectatrices oublieraient complètement qu’elle a été tournée au cours d’une pandémie. Pour en revenir à la seconde partie de votre question concernant les fans et notre vision de l’histoire, je n’ai pas peur de prendre des risques ou de débattre avec une communauté de passionné·e·s. Je le fais même sûrement trop [rires], mais j’adore ça et je ne peux pas m’en passer.

Ils ont toujours des remarques pertinentes. Par exemple, je pense aux différentes chronologies de la première saison. Je sais que ça a vraiment divisé les fans, certains ont adoré et d’autres ont détesté. C’était plus facile en saison 2, car l’histoire que nous racontons est cette fois linéaire. Je sais qu’avec l’expérience de la première saison, la réception des fans et le Covid, on a souhaité se concentrer davantage sur les personnages afin que l’histoire se façonne à travers eux. Nous passons beaucoup plus de temps avec eux, sans forcément se demander s’il y a un but précis derrière chaque scène. Au contraire, il y a des scènes simples et très belles, de personnages qui s’assoient et discutent, notamment Geralt et Ciri. Leur relation est au cœur de la saison 2, et vous le comprendrez dès les premiers épisodes.

Justement, en parlant de Geralt et Ciri, ils partagent une relation très singulière dans les romans d’Andrzej Sapkowski. De votre point de vue, est-ce qu’ils composent plutôt une famille dysfonctionnelle ou est-ce qu’ils partagent une relation de mentor à élève ?

Ils sont sans hésiter dans une relation de mentor à élève. Mais je crois que ça va beaucoup plus loin que ça. Geralt a prêté serment dans la tradition du Droit de surprise [cf. saison 1, épisode 4, ndlr], promettant à Calanthe, la grand-mère de Ciri, qu’il la protégerait coûte que coûte. Mais au début, ça ressemble surtout à un job habituel pour lui. Geralt est un Sorceleur pragmatique qui n’a qu’une parole, donc il ira au bout de son engagement dans tous les cas. C’est pourquoi il va la prendre sous son aile et la considérer uniquement comme une quête à remplir dans sa vie.

Mais petit à petit, Geralt va s’attacher à Ciri et comprendre que, s’il veut la protéger, il va devoir la former pour qu’elle apprenne à se défendre par ses propres moyens. C’est la meilleure façon d’assurer leur sécurité, mais aussi de rendre Ciri indépendante. La relation de mentor à élève va tendre progressivement vers celle d’un père et de sa fille, parce qu’il l’aime profondément, même s’il ne s’en rend pas compte immédiatement. On le verra au cours de sa formation de Sorceleuse, où Geralt va laisser de côté ses propres désirs pour se consacrer pleinement à son entraînement et la maîtrise de ses pouvoirs incommensurables.

Il y a un autre personnage que les fans, moi-même, et vous aussi j’imagine, apprécions énormément, c’est évidemment Yennefer. C’est une femme déterminée, ambitieuse, indépendante dans le monde très masculin de The Witcher. Vous lui avez même offert une origin story dans la première saison. À quoi peut-on s’attendre pour elle en saison 2, est-ce que vous avez d’autres surprises en réserve ?

Je vous rassure, il y aura effectivement beaucoup de surprises pour elle dans la suite de l’histoire. Dans la première saison, on lui a effectivement inventé un passé, mais sans jamais trahir les quelques indices que nous a laissés Andrzej Sapkowski dans ses romans. On a aussi donné plus de chaleur à sa première rencontre avec Geralt et creusé davantage sa personnalité. C’était plus compliqué pour la saison 2, car elle est quasi absente du récit du Sang des elfes que nous adaptons.

Je pense que c’est le livre le plus difficile à adapter, car il y a beaucoup de détails et d’expositions à prendre en compte pour les futures saisons. Certains éléments, sur la gestion politique et des guerres à venir notamment, auront un impact décisif bien plus tard dans l’histoire de The Witcher. Concernant Yennefer, il y avait un manque à combler et j’avais bien compris que les fans adoraient ce personnage. Car comme je vous le disais juste avant, dans Le Sang des elfes, elle n’arrive qu’à la fin du roman pour participer à l’entraînement de Ciri.

Ⓒ Netflix

Pour moi, c’était impossible de se passer de Yennefer pendant les trois quarts de la saison et je pense que les fans seront d’accord. Je peux donc vous le dire, l’histoire de Yennefer dans cette saison 2 est une pure création originale de la part des scénaristes. Nous savons d’où elle vient, nous savons qu’elle arrivera à Kaer Morhen [la demeure des Sorceleurs appartenant à l’école de Geralt, ndlr], mais tout ce qui se passe entre les deux a été imaginé en respectant le ton de l’histoire et la trajectoire du personnage.

On la retrouvera juste après la bataille de Sodden, qui venait conclure la première saison. Mais que vous soyez fans des romans, de la série ou même des jeux vidéo, vous serez forcément surpris des événements qui vont se dérouler autour d’elle dans la saison 2, avant que toutes les histoires se rejoignent dans les derniers épisodes et qu’on la retrouve dans la trame principale de la saga.

Impossible de parler de The Witcher sans évoquer son bestiaire à la fois terrifiant et fascinant. On s’attend à découvrir de nouveaux monstres dans la saison 2, comme le Leshen et le Myriapod. Est-ce que vous pouvez nous parler de leur création, de comment vous les choisissez et de l’importance du folklore scandinave dans la série ?

Le plus gros changement entre ces deux saisons concerne justement les monstres. Dans la saison 2, je voulais qu’ils aient un vrai impact dans l’histoire. Les meilleurs monstres de la saison 1 sont ceux qui ont un but et se confrontent à Geralt pour une raison bien précise. Dans cette nouvelle saison, il y a une poignée de nouvelles créatures jamais vues auparavant et certaines seront au cœur d’un mystère que Geralt devra résoudre. Elles joueront également un rôle dans l’entraînement de Ciri et apporteront une tension dramatique pour sa survie.

Quand on décide de créer de nouveaux monstres, on prend toujours les livres comme point de départ. C’est vrai que la mythologie scandinave est une grande source d’inspiration, mais je les vois davantage comme un mix de différentes créatures issues des folklores du monde entier. C’est ce qui nous permet d’ailleurs d’approfondir et d’étendre l’univers de The Witcher. C’est aussi la partie la plus fun quand on écrit la série.

Mon monstre préféré, qui est aussi le plus inattendu dans la saison 2, plane sur l’ensemble des épisodes. Il s’inspire de la légende de Baba Yaga, qui apparaît dans les cultures du monde entier mais dans une version différente pour chacune d’entre elles. C’est une créature fascinante, qui va causer beaucoup de problèmes à Geralt et Ciri.

Une variante de Baba Yaga dans le jeu vidéo The Witcher 3: Wild Hunt. (Ⓒ CD Projekt)

C’est assez rare de voir une femme à la tête d’une série de fantasy. L’équipe de Game of Thrones était dirigée par des hommes, tout comme celle de la série Le Seigneur des anneaux en développement chez Amazon. Est-ce que vous ressentez une forme de responsabilité dans ce contexte très masculin ?

Merci de poser cette question, je la trouve très intéressante. Je ne suis pas sûre de ressentir un poids particulier en tant que showrunneuse d’une série de fantasy, mais il est vrai que depuis le début de la série, mon objectif est de prouver au monde entier qu’une femme est capable de le faire aussi bien qu’un homme. Et la question n’est pas que les femmes raconteraient moins bien les histoires de fantasy que les hommes, c’est seulement parce que le genre de la fantasy est dirigé et écrit par des hommes depuis plusieurs décennies.

De nombreux romans de fantasy parlent d’héros masculins et sont écrits par des hommes. Mais The Witcher est différent dans son approche, avec ses portraits magnifiques et très variés de personnages féminins. Sans aucune prétention, je sais qu’on m’a choisie comme showrunneuse pour que je prenne soin de ces femmes et les mette en valeur dans la série, au moins autant que je comptais le faire avec Geralt. J’espère sincèrement montrer ainsi l’exemple à d’autres femmes, leur dire que nous sommes toutes capables de le faire et que nous avons toujours été capables de le faire. Il faut seulement nous laisser la possibilité d’essayer.

La saison 2 de The Witcher sera disponible en intégralité dès le 17 décembre prochain.