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Il faut qu’on parle de Riverdale et de son traitement des minorités

Il faut qu’on parle de Riverdale et de son traitement des minorités

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© The CW

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Par Florian Ques

Publié le

Le teen show de Roberto Aguirre-Sacasa a beau être un divertissement efficace, il demeure problématique sur plusieurs niveaux.

Ah, Riverdale ! Cette bourgade faussement paisible où rednecks ultraviolents, tueurs en série cagoulés et autres membres de secte décérébrés s’entrecroisent pour perturber la quiétude ambiante. Non, il n’y fait clairement pas bon vivre – encore moins si vous faites partie d’une quelconque minorité. Les travers de Riverdale sont légion mais son principal défaut demeure, saison après saison, le traitement désastreux qu’elle accorde aussi bien à ses personnages homosexuels que racisés.

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Depuis ses débuts en 2017, le teen drama phare de la CW a opté pour un parti pris clair, net et précis : se focaliser en (trop) grande partie sur son quatuor, composé donc d’Archie, Betty, Jughead et Veronica. Une décision aisément explicable puisque, dans les comics sur lesquels se base la série, c’est aussi sur ces quatre-là qu’on s’attarde. Sauf que cela ne suffit pas à justifier la façon dont Riverdale met de côté ses personnages issus de minorités, et encore moins les stéréotypes qu’elle leur accole.

Prenons d’abord l’exemple de Kevin. Présent depuis le pilote, celui-ci est apparu de manière sporadique au fil des dernières saisons et n’a été, en fin de compte, que très peu développé. Sur le plan love, il n’a écopé que d’histoires éphémères (avec Moose, puis Joaquin, puis Fangs) qui n’avaient aucune réelle substance, la faute à un temps d’écran minime. D’un point de vue personnel, inutile de se voiler la face : c’est une catastrophe sans nom.

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Attachant aux débuts de Riverdale grâce à ses expressions faciales désopilantes et ses références pop culture bien senties, Kevin (Casey Cott) a ensuite perdu de son petit charme. Le personnage s’est terni, se fondant dans l’arrière-plan épisode après épisode. Ses lignes de dialogues ont été amoindries, sa personnalité absolument effacée. Le coup de grâce fut la troisième saison, avec toute cette trame de secte sans queue ni tête, où Kevin est officiellement devenu un pantin malléable selon le bon vouloir des scénaristes et l’utilité qu’ils veulent bien lui donner.

La cerise sur le gâteau ? Même quand il est aux abonnés absents depuis plusieurs épisodes, Kevin est garanti de revenir pour l’épisode musical, faisant office de metteur en scène pour l’occasion. Roberto Aguirre Sacasa, showrunner de Riverdale, joue ainsi sur le stéréotype du gay fana de comédies musicales. Pourquoi pas, après tout. Mais quand le peu de traits de caractère qu’on décèle chez un personnage renvoie à des clichés, c’est décevant.

Dans le même panier, on pourrait glisser Josie McCoy. Présente elle aussi depuis le lancement de la série, la jeune femme incarne un des rares personnages afro-américains du show. Le hic, c’est que Josie n’est devenue ni plus ni moins que la “token black girl“, un terme anglo-saxon désignant un protagoniste noir qui n’est là que pour remplir un quota. Malgré des intrigues secondaires çà et là (incessamment liées au quatuor central, précisons-le), l’ex-leadeuse des Pussycats n’aura connu aucune évolution. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour qu’Ashleigh Murray s’épanouisse dans Katy Keene, le spin-off de Riverdale qui vient tout juste de démarrer outre-Atlantique sur la CW. On notera même qu’elle a beau changer de série et gagner en visibilité, elle n’est toujours pas l’héroïne du show. Katy Keene, blanche, est incarnée par Lucy Hale. 

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En saison 3, Riverdale tenta d’introduire un nouveau personnage noir : Mad Dog (Eli Goree), de son vrai prénom Monroe, codétenu aux pecs en béton avec qui Archie partage un temps sa cellule. Ce personnage, sympathique mais très peu creusé, pâtit de deux choses. D’une part, Mad Dog occupe un rôle utilitaire, un peu comme Kevin, puisqu’il apparaît au gré de l’intrigue, si jamais celle-ci nécessite son implication. Dans les faits, il est là dès qu’Archie a besoin de gros bras pour lui prêter main-forte – ce qui nous amène à souligner son deuxième inconvénient : Mad Dog est quasi uniquement caractérisé par sa force physique, étant souvent placé dans des situations liées à la violence. Violence qui, elle, est trop souvent associée aux hommes noirs dans la fiction.

Mais si l’on ne devait élire qu’une grande perdante dans Riverdale, ce serait sans nul doute Toni Topaz (Vanessa Morgan). Doit-on préciser qu’elle est la girlfriend de Cheryl Blossom quand la série le fait d’elle-même, sans cesse, explorant le personnage uniquement à travers le prisme de son couple ? On se rappelle d’une Toni badass, avec des convictions, prête à en découdre avec le système établi qui profite aux uns et défavorise les autres, en l’occurrence les siens. Mais cette femme-là n’est plus.

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Depuis qu’elle s’est mise en couple avec Cheryl, Toni s’est assagie. Elle n’apparaît à l’écran que si, et seulement si, sa douce est présente. Et si elle est dans une scène sans cette dernière, l’intrigue à laquelle elle contribue est forcément en rapport avec Cheryl. Elle est devenue l’équivalent de ce que les anglophones appellent une “trophy wife“, soit une femme à avoir à son bras pour se pavaner avec, sans que celle-ci n’ait quoi que ce soit à dire. Ses répliques ont diminué au même rythme que sa personnalité s’est estompée. C’est triste d’en être arrivé là.

On ne peut pas reprocher à Riverdale de ne pas être inclusive puisqu’elle donne une visibilité certaine à plusieurs minorités : les personnes racisées, les LGBT+ et même à celles qui se trouvent à l’intersectionnalité des luttes (Toni, femme racisée et bisexuelle). Malheureusement, la série participe à une autre forme d’invisibilisation : les personnages issus de minorités sont là, comme pour cocher des cases, mais n’ont aucune plus-value par rapport au récit. Ils existent pour exister et non pas pour évoluer, se fondant dans le décor au gré des épisodes.

Même si nos espoirs en Riverdale s’éteignent lentement, on a toujours envie de croire qu’elle saura faire bon usage de ses personnages racisés ou appartenant à d’autres minorités. Mais quand on voit que la dernière intrigue de Kevin tourne autour de soft porn fétichiste où il se fait chatouiller les pieds devant une caméra (non, ce n’est pas une blague), on est à deux doigts de baisser les bras. En 2020, on mérite mieux.

Riverdale est diffusée en US+24 sur Netflix en France, à raison d’un épisode par semaine.