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Pourquoi l’épisode “Bagman” de la saison 5 de Better Call Saul change tout

Pourquoi l’épisode “Bagman” de la saison 5 de Better Call Saul change tout

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©Greg Lewis/AMC/Sony Pictures Television

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Par Marion Olité

Publié le

Breaking Saul.

Il est vivement conseillé d’être à jour dans le visionnage de Better Call Saul, cette analyse contient des spoilers. 

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“You’re alive, focus on that”*, lance Mike à Jimmy, qui vient de voir défiler sa vie sous ses yeux après avoir échappé à la plus effroyable et première fusillade de sa vie.

Depuis ses débuts en 2015, Better Call Saul s’emploie à nous raconter la lente transformation d’un homme sympathique et empathique en avocat corrompu et sans scrupule. Plusieurs moments déterminants – ses talents de manipulateur, la mort de Chuck, la première fois où il accepte de représenter des criminels à la petite semaine, puis des membres de la mafia, son changement de nom “pour le business” – ont conduit notre héros ordinaire dans ce désert, où il lutte pour sa vie, avec 7 millions de dollars en poche. On vient d’atteindre le point de bascule de Better Call Saul dans “Bagman”, l’épisode 8 de la saison 5, diffusé le 6 avril dernier sur AMC (et Netflix chez nous). 

Un survivant-né, parmi des tueurs-nés 

Se retrouvant à défendre Lalo Salamanca, arrêté sous un faux nom et mis en prison, Jimmy est mis face à un choix : accepter ou refuser de jouer les coursiers pour aller récupérer la caution du mafieux, qui doit donner 7 millions de dollars à la justice pour être libéré, en attente de son procès. Alors qu’on lui offre une porte de sortie, l’appât du gain est trop fort. L’avocat négocie finalement une commission de 100 000 $ pour cette course exceptionnelle.

Le Saul qui sommeille en lui n’a pas pu résister, mais Jimmy se refuse à mentir à sa récente épouse, Kim, et lui explique la situation. Il se rend donc dans le désert, près de la frontière mexicaine, pour récupérer l’argent, des mains des cousins Salamanca, Leonel et Marco, toujours aussi bien sapés et aussi taiseux que dans Breaking Bad. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Jimmy est pris en embuscade par des concurrents du cartel mexicain. 

À deux doigts d’y passer, il est secouru par un mystérieux sniper extrêmement efficace… qui n’est d’autre que notre pote Mike, désormais homme de main de Gus Fring, ce dernier ayant toujours un coup d’avance sur ses rivaux. Après une panne de voiture suite à la fusillade, voilà notre duo mal assorti parti pour une épopée façon Lawrence d’Arabie, en plein désert, alors qu’un des gangsters tente encore de les choper.

L’occasion pour Jimmy de repousser ses limites, de faire la paix avec ses blessures passées et surtout de s’embourber jusqu’au cou dans les affaires des mafiosos, embarquant Kim avec lui. S’il avait encore le choix au moment d’accepter cette course, tout porte à croire qu’il ne l’a plus à la fin de cet épisode, l’un des plus réussis du diptyque sériel Breaking Bad/Better Call Saul. D’ailleurs, en tentant de se tirer d’affaire, il se met à hurler ce qu’il refusait d’admettre jusqu’ici : “I’m a friend of the cartel !” (“Je suis un ami du cartel.”)

©. Greg Lewis/AMC/Sony Pictures Television

Réalisé par Vince Gilligan himself et écrit par Gordon Smith, “Bagman” réunit les deux qualités qui ont fait le succès de la recette Breaking Bad. C’est un épisode à la fois introspectif et spectaculaire, qui pousse Jimmy/Saul dans ses retranchements et permet à un Bob Odenkirk de tous les (gros) plans de briller comme jamais. Sa façon de rassurer Kim en lui disant que tout va bien passer rappelle la raison pour laquelle il a changé son nom, le fameux jeu de mots “it’s all good man” (à traduire par “tout roule, mec, tranquille !”).

Or, on le sait, rien ne va bien se passer dans la vie de Saul Goodman, à commencer par cette livraison. Et puis Saul n’est pas un “good man”, un homme bon. En l’état, Jimmy se retrouve face à lui-même et devient le “bagman”, “l’homme qui porte des sacs” au péril de sa vie. Ironique, ce titre d’épisode renvoie à une imagerie de super-héros. Mais notre homme au bout du rouleau n’est pas un superman, c’est un bagman. Et durant cet épisode, il va apprendre à l’accepter.

“Elle est dans le game”

Voilà pour l’introspection, qui passe par vaincre sa peur de Chuck, son frère décédé, en utilisant cette fameuse couverture de survie réfléchissante que le brillant avocat quittait rarement, persuadé d’être hypersensible aux champs électromagnétiques (il souffrait en fait d’une maladie mentale). Mais aussi boire sa propre urine, car, comme le dit Lalo Salamanca à Kim (paniquée de ne pas voir revenir son mari, elle décide comme à son habitude de ne compter que sur elle et d’aller voir le mafieux) : “Ton homme, il est comme la cucaracha [une blatte, ndlr], c’est un survivant-né.” Amusé de voir qu’une femme tient à cet homme qui lui semble utile mais insignifiant, Lalo appelle Kim “Mrs Goodman” au cours de cette conversation. Il est temps de commencer à trembler pour l’avocate déterminée. Comme l’explique Mike à Jimmy, qui lui avoue que sa femme est au courant de ce qu’il était parti faire et doit se faire un sang d’encre, “she knows, she is in the game now” (“elle sait, elle est dans le game maintenant”).

© Netflix

Partant du fait que Saul Goodman est un loup solitaire dans Breaking Bad, on peut sérieusement commencer à trembler pour Kim Wexler, incarnée par l’excellente Rhea Seehorn. Va-t-elle rompre avec Jimmy ou se faire liquider par un Salamanca qui veut faire pression sur Jimmy ? À moins qu’on ne la sous-estime… Ses jours semblent comptés, aussi sûrement que ceux de Nacho, placé dans une situation impossible. Mais il n’y a pas de déterminisme dans Better Call Saul.

Kim a choisi d’aller au-devant des ennuis en se rendant en prison, parler au mafieux. Jimmy a choisi de se mentir à lui-même en se disant que récupérer 7 millions de dollars dans le désert appartenant à un cartel mexicain équivalait à ses autres missions d’avocat. ll le paiera cher, se trimballant littéralement sa cupidité – les deux énormes sacs remplis de dollars – sur le dos. Pendant tout ce temps, il est accompagné de Mike, qui représente la résilience et une forme de sagesse malgré ses talents de tueur.

Prouesse technique 

Riche en émotions, cet épisode l’est aussi en action. Il a été tourné à deux heures de route des lieux habituels à Albuquerque au Nouveau-Mexique, où la série est filmée. Un épisode prend environ neuf jours de tournage. “Bagman” en a pris 18. Le climax est atteint dès la 17e minute, quand Saul est sur le point de se faire tuer, et assiste, impuissant à une sanglante fusillade. Vince Gilligan a expliqué dans une interview accordée à Variety :

“Il se passe tellement de choses. Je pense que c’est probablement la scène la plus compliquée que j’aie jamais réalisée, et cela en comptant le film [‘El Camino’] et tout ce que j’ai fait. Jusqu’à ‘X-Files’. C’est énorme.”

Ce morceau de bravoure dure environ 3 minutes et a pris environ 5 jours de tournage selon son réalisateur : on y suit un Jimmy terrifié, en gros plan, qui tente de ramper vers sa voiture pour se mettre à l’abri, tandis que des rafales de balles provenant d’automatiques lui sifflent autour de la tête et viennent se planter dans les pneus des voitures et dans les corps de ses assaillants. Les balles pleuvent sans qu’on ne comprenne d’où elles viennent. Les amateurs de séquences de fusillade pourront se repasser la séquence en boucle, véritable cours de réalisation. Chaque plan est réfléchi et varié. La caméra tremblante suit l’action tout en ne lâchant pas le visage de Jimmy, pour que l’on ressente viscéralement sa terreur. 

© Netflix

La suite du tournage, en plein désert, s’est révélée également éprouvante, se souvient Gilligan, toujours dans Variety :

“Une fois dehors, il faisait plus de 100 °F et il y avait des tarentules et ces cactus incroyablement dangereux, mais surtout, c’est le soleil et le manque d’eau qui vous tueront tout simplement dehors.”

Mike et Saul ne s’appréciaient pas particulièrement jusqu’ici : cet épisode nous permet de les voir se rapprocher. Malgré leurs différences de caractère (Mike ne cherche jamais à négocier face aux tâches difficiles comme Jimmy, qui tente par tous les moyens de trouver des échappatoires pour ne pas porter les sacs remplis d’argent), l’un comme l’autre possède un sens de l’empathie qui les distingue des mafieux de base du cartel.

Dans l’épisode précédent, l’avocat était travaillé par sa conscience face à la détresse de la famille de la victime de Lalo. De son côté, Mike écoutait le dilemme de Nacho, qui souhaite tirer sa révérence du monde mafieux sans en sortir les deux pieds devant, et surtout tirer son père de là indemne. Juste après la scène de fusillade, Mike vient prêter main-forte à Jimmy, l’ausculte. Il comprend tout de suite que l’avocat est en état de choc. Avec la personnalité qui le caractérise, il va faire de son mieux pour accompagner notre antihéros dans son voyage introspectif, et le garder en vie. 

Cet épisode-clé à plus d’un titre représente l’un des piliers fondateurs du lien qui les unira par la suite dans Breaking Bad. Plus que jamais, les mondes des deux séries sont entrés en collision dans “Bagman”, qui a sa place dans le top des meilleurs épisodes de l’univers BB. Reste à savoir dans quel état psychologique cette expérience transformatrice va laisser Jimmy/Saul. Vince Gilligan et ses scénaristes ont encore deux épisodes pour l’explorer dans cette saison 5. 

La saison 5 de Better Call Saul est diffusée sur Netflix en France, à raison d’un nouvel épisode mis en ligne tous les lundis. 

*“Tu es en vie, concentre-toi là-dessus.” (Mike à Jimmy, S5E8) 

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